L'actu démocratique n°1 : les enseignements de la Nouvelle Calédonie pour les territoires français

Par Clara Egger | 19 November 2018

Le 4 Novembre 2018, les habitants de la Nouvelle Calédonie, un archipel d’îles du Pacifique Sud situé à près de 17 000 kilomètres de Paris, étaient appelés à se prononcer sur l’accès à la pleine souveraineté, par l’indépendance. Les résultats ont, comme attendu, donné le « non » vainqueur mais dans des proportions bien plus faibles que l’espéraient les opposants à l’indépendance : près de 57% des néo-calédoniens ont voté non alors que 43 % ont soutenu le projet d’indépendance. Ce score est d’autant plus surprenant que l’île dispose d’un statut unique parmi les territoires français avec une forte autonomie dans différents domaines. Ce score peut s’interpréter comme le refus d’un processus d’auto-détermination piloté depuis par Paris et comme l’invitation à imaginer d’autres modalités de pleine souveraineté ne passant pas nécessairement par l’indépendance.

Le rôle ambigu joué par le pouvoir français dans la définition du processus d’auto-détermination

La Nouvelle-Calédonie est considérée comme un des derniers territoires sous tutelle de la planète1. Parmi les colonies françaises, la Nouvelle Calédonie possède une histoire qui la rapproche, à plusieurs égards, de l’Algérie : sa colonisation est récente (1853 contre 1830 pour l’Algérie) ; il s’agit d’une colonie de peuplement – où les colons français s’installent et développent une activité économique aux dépens des habitants autochtones majoritairement kanaks – et les rapports entre les peuples colonisés et la puissance coloniale ont été particulièrement violents. Cette violence culmine dans les années 1980 où les tensions sur le statut de l’île et les droits des populations kanakes débouchent sur une guerre civile, que le pouvoir français refusera de qualifier comme telle, préférant parler comme en Algérie « d’événements politiques ». La prise d’otage de gendarmes français par des indépendantistes kanaks à Ouvéa marque la fin de cette période : l’armée française intervient en faisant 21 morts, 19 parmi les indépendantistes, deux parmi les militaires français.

Alors que l’Algérie accède à l’indépendance en 1962, il faudra, en revanche, attendre la fin des années 1980 pour que le pouvoir central français accepte de discuter de la question du statut de la Nouvelle Calédonie craignant une escalade de la violence. C’est le gouvernement socialiste nouvellement réélu qui convoque des négociations à Matignon entre le leader indépendantiste kanak, Jean-Marie Tjibaou (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste, FLNKS) et le leader loyaliste Jacques Lafleur (Rassemblement Pour la Calédonie dans la République, RPCR), une des grandes fortunes du pays. L’arbitrage de Michel Rocard, alors Premier Ministre, est pour le moins ambigu : il somme les deux parties à s’entendre et fixe les limites du dialogue comme si la France était extérieure au conflit alors que c’est précisément sa politique et son organisation territoriale qui en est la cause. Aucun médiateur extérieur ne sera convié aux discussions, qui débouchent sur des accords prévoyant une période de décolonisation de 10 ans à l’issue de laquelle en 1998 un referendum sur l’indépendance de l’archipel doit être organisé.

La nouvelle de l’accord est mal reçue dans l’archipel où la population ne fut consultée à aucun moment du processus. Elle donne lieu à des explications par les deux leaders. Lafleur fait acclamer l’accord par ses militants à l’applaudimètre alors que Tjibaou organise une consultation de la population kanake qui accepte finalement l’accord, y voyant une préparation à l’indépendance2. L’ensemble de la population française accepte les accords de Matignon suite à un referendum organisé par le gouvernement le 6 novembre 1988. Tjibaou et son bras droit du FNLKS Yeiwéné Yeiwéné seront assassinés l’année suivante par un opposant kanak aux accords de Matignon.

La souveraineté sans l’indépendance : la négociation d’un statut spécial pour la Nouvelle Calédonie

Les accords de Matignon instaurent trois provinces semi-autonomes dont deux sont majoritairement peuplées par les kanaks, leur permettant ainsi de disposer d’une représentation plus forte aux assemblées provinciales et au Congrès du territoire. Pendant 12 mois, l’État français renforce sa présence et ses prérogatives: un Haut Commissaire est chargé de gérer l’archipel en menant une politique visant à combler les inégalités entre les populations kanakes et européennes. Des actions de formation sont envisagées pour permettre à la population néo-calédonienne de disposer des compétences nécessaires à l’auto-administration du pays. L’État français conserve la souveraineté pleine et entière de l’archipel : les compétences transmises relèvent principalement de la politique culturelle et de la valorisation de la culture kanake. Comme c’est souvent le cas, la demande de souveraineté des territoires est réduite à des revendications culturalistes. Plutôt que de donner le pouvoir aux néo-calédoniens : on valorise la langue et l’histoire kanakes.

A l’approche du referendum, les camps indépendantistes et loyalistes déclenchent de nouvelles négociations. Les raisons de ce changement de cap sont peu clairs : le camp loyaliste paraît craindre la résurgence des tensions que créerait le referendum dans un contexte où les accords de Matignon n’ont pas eu les effets escomptés: les inégalités dans l’archipel restent très fortes. L’évolution démographique et l’arrivée de nombreux européens attirés par l’exploitation des mines de nickel a changé la donne : les populations kanakes ne sont plus majoritaires, ce qui fait craindre aux indépendantistes une large victoire du non.

Ces négociations débouchent sur les accords de Nouméa, qui démontrent qu’il est possible d’instaurer une dose de fédéralisme dans les institutions françaises. Ces accords dotent la Nouvelle Calédonie d’un statut spécial dans la constitution française qui lui permet de partager la souveraineté avec Paris. De façon inédite, les néo-calédoniens définissent qui peut être citoyen kanak, choisissent leur propres règles électorales (en restreignant le vote aux habitants de longue date du territoire) et prévoient des transferts de compétences irréversibles dans de larges domaines. La Nouvelle Calédonie partage même avec la France un pouvoir de participation à des discussions internationales. Ces dispositions sont conçues comme transitoires : le maintien ou non de l’archipel dans la France devant être décidé par referendum au plus tard en 2018.

Le référendum du 4 novembre et ses enseignements pour les territoires

Il est surprenant de constater que dans ce contexte, la question posée aux néo-calédoniens porte exclusivement sur l’indépendance pleine et entière de la Nouvelle Calédonie. Cette option a séduit les habitants des territoires majoritairement kanaks, les plus pauvres de l’archipel alors que les grands centre urbains du Sud de Grande Terre (la plus grande île du territoire néo-calédonien), aux ressources importantes, concentrent les opposants à l’indépendance. Les résultats montrent une Nouvelle-Calédonie profondément divisée sur son avenir : si cette région est parmi les 5 plus riches de France, ces richesses ne bénéficient qu’à une partie de la population néo-calédonienne : en grande majorité les descendants des colons français.

Au regard du statut unique de la Nouvelle Calédonie, il aurait été plus logique de ne pas limiter l’auto-détermination à l’indépendance comme le fait le pouvoir central depuis le début des négociations. Pour Paris, la souveraineté des territoires est conçue comme exceptionnelle et temporaire. Une autre option pourrait consister à entériner le statut spécial de la Nouvelle Calédonie en lui permettant d’accéder à la pleine souveraineté tout en restant française. Le peuple néo-calédonien déciderait alors quelle compétence transférer à Paris et bénéficierait des réparations auxquelles son histoire coloniale lui donne droit. Cette option permettrait surtout de transformer l’essai fait en Nouvelle Calédonie au profit de tous les territoires français : le statut unique de ce territoire montre que rien n’empêche la France d’évoluer vers une structure confédérale, puisque l’archipel disposait déjà de compétences qu’exercent quotidiennement et de façon bien plus large les cantons suisses ou les états des États-Unis d’Amérique. Les accords de Nouméa prévoyaient qu’en cas de victoire du non, jusqu’à deux autres referendums puissent être organisés. On ne peut que souhaiter aux néo-calédoniens de reprendre le contrôle du processus en définissant eux-mêmes les contours de leur auto-détermination, ouvrant ainsi la voie à d’autres territoires français.

(Relu et corrigé par Baptiste Pichot)


  1. L’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies a établi une liste des territoires considérés comme non-autonomes, elle peut être consultée ici : http://www.un.org/fr/decolonization/nonselfgov.shtml. [return]
  2. Pour plus d’informations sur cette séquence historique, voir le documentaire « Nouvelle-Calédonie : naissance d’une nation » (2013) réalisé par Ben Salama et Thomas Marie, https://vimeo.com/76505993. [return]