L'édito démocratique n°2 : Pourquoi le fédéralisme et la démocratie directe aident à résoudre le principal problème de nos démocraties représentatives ?

Par Raul Magni-Berton | 2 December 2018

Pourquoi le pouvoir politique est de plus en plus objet de suspicion, accusé d’être fermé à l’ensemble de la société et représentant une organisation homogène et opaque ? La réponse à cette question va de soi : parce que c’est vrai. Ce qui va moins de soi ce sont les raisons qui ont mené à cette situation. Bien que la critique des élites ne soit pas nouvelle, ce qu’on observe depuis une vingtaine d’années est un sentiment croissant d’être exclu du système politique, ainsi qu’une poussée des partis qui critiquent l’élitisme et l’interchangeabilité du personnel politique. En Grèce et en Italie ces partis ont pris le pouvoir. Dans d’autres pays ils sont proches de le prendre. En France, En Marche a bénéficié de ce rejet des élites, tout en ne les condamnant pas particulièrement. Comment on en est arrivé là ?

Pour comprendre la faille de nos systèmes politiques, il faut d’abord comprendre leur fonctionnement et leurs qualités. Les démocraties dans lesquelles nous vivons reposent sur un principe simple : pour qu’une décision soit légitime, il faut qu’elle ne soit pas prise par une seule personne ou une seule organisation. Il faut une division des pouvoirs qui garantisse que, à un moment ou à un autre, les idées portées par différents groupes de citoyens pèsent sur les décisions finales. Traditionnellement, la division des pouvoirs fait référence à la tripartition entre pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Cependant, elle est bien plus que cette tripartition : elle inclut beaucoup d’autres institutions et des droits qui structurent toutes les prises de décisions collectives et individuelles. De ce point de vue, plus un régime est démocratique, plus il aura une structure large de division des pouvoirs qui pénètre toutes les sphères de la société, des entreprises à la famille, de l’école aux administrations.

Cependant, face à un pouvoir morcelé, des organisations politiques – qui deviennent des partis politiques - naissent dans le but de changer la société selon leurs idées, et, pour cela, il leur faut reprendre le contrôle de tous ces pouvoirs qui ont été minutieusement divisés. Pour cette raison on pourrait qualifier les partis politiques de « essentiellement subversifs » dans les sens où ils œuvrent contre la division des pouvoirs. Ils sont subversifs, donc, mais ils le sont, le plus souvent, à leur insu.

Notre instrument pour empêcher les partis de parvenir à réunir le pouvoir est celui de multiplier le nombre des partis et les mettre en situation de concurrence. Chacun d’eux voudra tout gagner, mais, au final, ils finiront par produire un équilibre où beaucoup de voix discordantes sont entendues. Seulement, voilà, à force de se côtoyer, les principaux partis finissent par se mettre d’accord, et créer un système qui les protège. Le même problème existe dans la concurrence économique : si les multinationales – qui sont censées se faire concurrence – ont des occasions de se mettre d’accord, elles se mettront d’accord. Au détriment du consommateur. Or, les partis politiques – qui sont bien moins contrôlés et qui se côtoient régulièrement dans les instances législatives – sont devenus peu à peu un oligopole visant à se maintenir au pouvoir1.

Voici, grossièrement, les étapes du processus. Les cadres principaux des partis sont menacés par une concurrence externe – les autres partis – et une concurrence interne – les militants, qui peuvent vouloir changer à tout moment d’équipe dirigeante. Les partis qui ont le succès le plus grand, partageant ces inquiétudes, décident de se défendre ensemble contre les concurrents nouveaux partis, et contre leurs propres militants. Le choix qui a été fait est de financer par l’État les partis politiques et les campagnes électorales. D’un côté, les remboursements de campagne dépendent des scores obtenus, de sorte que les nouveaux partis sont incités à dépenser beaucoup moins que les autres. De l’autre côté, les financements aux partis politiques dépendent des élus qu’ils ont, et renforcent donc les avantages de ceux qui ont déjà des élus. L’ensemble de financements publiques permettent en outre de ne plus avoir besoin des contributions des militants, qui deviennent dès lors peu utiles. Avant les financements publics, chaque militant était un capital économique et humain pour le parti. Après cela, il ne l’est plus. Les nouveaux arrivants sont donc de plus en plus mal accueillis et s’en vont. Les financements publics ont coïncidé avec une chute rapide de militants pour les principaux partis, et le fossé entre partis et citoyens a commencé. Le lien entre les partis et l’État a rompu le lien entre les partis et les citoyens, et c’est ainsi que l’oligarchie s’est construite.

Tout cela illustre l’idée simple qu’un système basé sur la concurrence des partis n’est pas efficace. Il faut diviser les pouvoirs de façon beaucoup plus solide pour que chacun de nous puisse avoir prise sur le pouvoir politique. Deux modèles s’avèrent particulièrement efficaces.

Premièrement, le (con)fédéralisme consiste à donner un pouvoir très fort aux régions. Le pouvoir étant moins concentré, chaque région peut être gouvernée par un parti différent. Les nouveaux partis ont aussi leurs chances, puisqu’ils ont besoin de mobiliser moins de monde et dans un périmètre géographique plus restreint pour influencer la politique. Aussi, les électeurs sont plus proches géographiquement du pouvoir, et peuvent ainsi l’influencer ou le contrôler plus facilement.

Deuxièmement, la démocratie directe consiste à avoir un moyen de prendre les décisions qui à aucun moment n’a besoin des représentants élus. Ceci signifie créer une concurrence qui ne peut pas être détournée. Car non seulement il y a la fragile concurrence entre partis, mais ces derniers sont également concurrencés par toute association, organisation ou simplement groupe de citoyens qui parviennent à initier des processus législatifs sans passer par les élus. Ces derniers sont très nombreux et dispersés, et il est donc impossible de se mettre d’accord et créer un oligopole.

Fédéralisme et démocratie directe contribuent fortement à diviser le pouvoir, et donc, à solidifier les démocraties contre l’autoritarisme, la corruption, l’inefficience et l’injustice, qui sont les caractéristiques associées à des pouvoirs trop concentrés. Les politiciens des pays qui ont l’une ou l’autre sont un peu épargnés de la mauvaise réputation qui les suit dans nos systèmes. Lorsque les deux sont présents, les politiciens sont bien vus et le système politique est plus satisfaisant. Un exemple : en 2018, une enquête après des jeunes suisses – vivant donc dans un système fédéral avec démocratie directe – montre que 85% d’entre eux sont satisfaits de leur système politique2. A comparer avec une enquête de la même année sur les jeunes français : ils sont 36% à être satisfaits.

(Relu et corrigé par Nelly Darbois)


  1. Un oligopole est similaire à un monopole, où un produit (dans ce cas des politiques) est offert par un petit nombre d’entreprises (ici des partis) coordonnés entre elles. La tendance à l’oligopole des partis politiques a été identifiée pour la première fois par Katz, R. S., & Mair, P. (1995). Changing models of party organization and party democracy: the emergence of the cartel party. Party politics, 1(1), 5-28.

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  2. https://www.hes-so.ch/fr/extremisme-politique-parmi-jeunes-suisse-ampleur-9099.html. L’enquête française a été menée par l’équipe Arval. [return]